La qualité de l’eau qui circule dans les réseaux de chaleur est absolument essentielle à leur bonne tenue. Romain Jombart, responsable marketing pour la division produits formulés chez BWT France nous en explique les risques et les solutions de traitement.
Pouvez-vous nous présenter votre société ?
BWT France est une filiale du groupe BWT qui emploie environ 3 000 personnes, essentiellement en Europe, et dont le siège est basé en Autriche. Nous sommes spécialisés dans la conception, la fabrication et la vente d’équipements et de produits chimiques pour le traitement de l’eau, ainsi que leurs services associés.
Plus particulièrement, nous intervenons dans tous types de bâtiments, via des technologies qui visent à transformer l’eau dans le but de l’adapter à son utilisation. Nous couvrons donc un secteur assez vaste et une multitude d’activités : traitement de l’eau pour la fabrication de vaccins, pour la cuisson des aliments, pour les piscines… et aussi pour les réseaux de chaleur.
Quel est le contexte de votre intervention sur les réseaux de chaleur ?
Nous intervenons sur l’ensemble des compétences que requièrent ces réseaux : équipements, produits chimiques et suivi analytique. Avec comme principaux clients les installateurs et les exploitants de chauffage. Dès l’amont, nous sommes en charge, auprès des bureaux d’études, de la prescription des bonnes pratiques à mettre en œuvre dans le domaine du traitement de l’eau, dans l’installation des équipements, la préparation des surfaces amenées à être en contact avec l’eau, ainsi que dans la phase d’exploitation à proprement parler, et donc de la protection à long terme des réseaux.
Pourquoi l’eau des réseaux de chaleur a-t-elle besoin d’être traitée ?
Qu’il s’agisse d’eau de ville, de forage ou de nappe, une eau brute représente des risques importants pour les canalisations en l’absence de traitement. On peut les résumer en trois grandes problématiques : le tartre, la corrosion et les boues.
Le tartre se développe à partir des sels de calcium et de magnésium que contient naturellement l’eau. En la soumettant à des pressions et des températures élevées, ces sels solubles à froid ne le sont plus et précipitent pour former un dépôt assez dur.
La corrosion provient, elle, majoritairement de l’oxygène dissout dans l’eau. Elle est notamment à l’œuvre sur des métaux ferreux, comme l’acier qui est justement utilisé pour les tuyauteries des réseaux de chaleur.
Enfin, troisième souci, l’embouage, qui peut avoir une double origine. Il peut provenir d’un mauvais traitement des surfaces avant le remplissage en eau, avec des résidus de soudure, de graisse ou de calamine. Sans traitement, ces éléments vont se retrouver en suspension dans l’eau et représenter un risque potentiel de formation de boues, avec pour conséquences corrosion sous dépôts, cavitation et pertes de rendement thermique. Mais les boues peuvent aussi provenir d’une conjonction de tartre et de corrosion sur un circuit en fonctionnement. Dans tous les cas, la survenance d’un de ces phénomènes peut accélérer l’émergence d’un autre et entraîne une détérioration de l’ouvrage ainsi que des pertes importantes de rendement thermique.
Existe-t-il aussi des risques bactériens ?
Oui, mais cela reste plus rare sur des réseaux de chaleur, car les conditions de pression et de température n’y sont généralement pas propices. On note toutefois des exceptions, notamment dans le cas de la BSR, bactérie sulfatoréductrice qui, dans le cadre de son métabolisme, libère du sulfure d’hydrogène, particulièrement agressif pour l’acier. On la retrouve dans des milieux peu oxygénés, provenant des eaux de forages ou de nappes. Dans les réseaux de chaleur, les traitements réducteurs d’oxygène peuvent aussi favoriser leur développement.
Quels dispositifs mettez-vous en place pour lutter contre ces risques ?
En ce qui concerne le tartre, nous avons principalement deux méthodes. La première consiste à adoucir l’eau en lui retirant ses ions calcium et magnésium pour les remplacer par des ions sodium. Cette technique échangeuse d’ions peut être plus poussée, jusqu’à la déminéralisation de l’eau afin d’éviter tout risque de précipitation, en particulier sur les réseaux de chaleur fonctionnant à pressions et températures très élevées, voir en phase vapeur.
En complément des techniques échangeuses d’ions, nous injectons des additifs antitartre à base de dispersants, organiques ou minéraux, principalement issus de la chimie des phosphates, mais également des produits naturels comme les tanins ou encore des polymères de synthèse (polymère acrylique, par exemple).
La corrosion étant majoritairement liée à l’oxygène dissout dans l’eau, nous utilisons principalement des réducteurs d’oxygène, dont les principaux sont les sulfites. Il s’agit de composés assez simples et bon marché. Sur certains réseaux à moyenne et haute pression, nous pouvons aussi être amenés à employer des réducteurs organiques, type DEHA (diéthylhydroxylamine) ou carbohydrazide, plus résistants à la décomposition que les sulfites. Enfin, nous travaillons avec des inhibiteurs de corrosion des surfaces métalliques, anodiques ou cathodiques. Les premiers sont des molécules simples comme les orthophosphates qui, en réagissant avec le fer de la tuyauterie, vont former une couche protectrice et isoler le métal (phénomène de passivation des parties dites anodiques). Les seconds précipitent sur les surfaces pour éviter à l’oxygène de les atteindre (blocage de la réduction chimique de l’oxygène à la cathode).
Avec ces dispositifs, il y a donc peu de chance de voir se former des boues.
Oui, mais par mesure préventive, nous devons aussi traiter ce problème. D’abord, en préparant les surfaces à l’aide d’agents chimiques de nettoyage. Il s’agit là essentiellement de tensioactifs et de dispersants qui permettent de supprimer les résidus de graisse ou de calamine sur les circuits neufs. Nous recommandons également la pose, en filtration totale ou en filtration dérivée, de filtres magnétiques à poche ou cycloniques, qui retiendront les particules en suspension dans l’installation en fonctionnement. Généralement, nous les plaçons dans les centrales, à proximité des retours et avant les chaudières pour protéger les générateurs.
Ces traitements sont-ils les mêmes qu’il s’agisse de réseaux de chaleur ou de froid ?
Globalement oui, mais on peut nuancer. Le tartre, par exemple, va se former plus vite à chaud qu’à froid, ce phénomène est rédhibitoire pour les réseaux de chaleur. Il est moins critique sur les réseaux de froid, nous pouvons le limiter avec de simples techniques chimiques. À l’inverse, l’eau glacée est riche en oxygène dissout et donc apte à la corrosion. Pourtant, en froid, la tendance n’est pas de faire appel à des réducteurs d’oxygène. D’une part parce que cela générerait de grandes concentrations en sous-produits de réaction néfastes aux installations, d’autre part parce que cela reviendrait à consommer une quantité trop importante de produits. Nous travaillons donc majoritairement à partir d’inhibiteurs anodiques et cathodiques. Par exemple, les molybdates sont d’excellents inhibiteurs anodiques.
Explorez-vous des solutions innovantes ?
De plus en plus, nous travaillons sur deux approches : le curatif et le préventif. Au niveau curatif, nous développons, avec la société SoluTECH, des solutions de nettoyage doux, sous avis technique, qui donnent d’excellents résultats. Concernant le préventif, nous commercialisons depuis déjà quelques temps des solutions issues de la chimie végétale. Ce sont les tanins, par exemple, des molécules naturelles extraites du châtaignier ou du mimosa qui combinent propriétés réductrices et propriétés dispersantes. Ce sont aussi les lignosulfonates, issus de la fibre de bois, aux propriétés dispersantes et antitartre très efficaces.
Quelle importance revêt la surveillance de la qualité de l’eau des réseaux ?
Elle est essentielle. Vous pouvez avoir les meilleurs traitements au monde, vous ne pourrez pas faire l’impasse sur un suivi analytique pertinent. La difficulté des réseaux de chaleur est qu’ils sont relativement étendus et très volumineux. Il peut se produire des variations de qualité d’eau d’un point à un autre du circuit (différence d’oxygénation, de vitesse de circulation, de température…). On ne peut se contenter d’injecter un produit de traitement dans la centrale puis analyser l’eau au retour vers la centrale et estimer que cette analyse est représentative. Il peut se produire une quantité d’événements sur le maillage. D’où l’importance d’une cartographie pertinente avec des points de prélèvement et une adaptation du traitement si nécessaire sur tous ces points.
Quel est le coût du traitement de l’eau des réseaux de chaleur ?
À peu de choses près, le coût du traitement chimique est de l’ordre de 10 € du m3. Pour la filtration, on compte, pose comprise, de 5 000 à 8 000 €, selon les débits. Le poste d’adoucissement en amont représente de 5 000 à 10 000 €. En revanche, les réseaux de chaleur utilisant peu d’eau, les coûts d’exploitation sont limités.