Thierry Franck de Préaumont est président du groupe Idex, une entreprise spécialisée dans les services à l’énergie et à l’environnement. Il partage avec nous ses réflexions sur le projet de loi sur la transition énergétique, assurant que celle-ci ne saurait réussir sans un fort développement des réseaux de chaleur
Pouvez-vous nous présenter votre société, Idex ?
Idex est une entreprise de taille intermédiaire (ETI) qui se consacre à la transition énergétique via l’efficience énergétique, autrement dit en associant une gestion optimisée des énergies et la valorisation performante des ressources. Dans le cadre de cette mission, nous avons deux métiers. Le premier consiste à mobiliser et à valoriser les énergies renouvelables (EnR) disponibles sur un territoire donné, que ce soit la géothermie, la biomasse, le biogaz (nous avons été pionniers en matière de méthanisation) ou la valorisation thermique (déchets, eaux usées, data centers…). Notre deuxième champ d’action concerne toute la gamme des services relatifs à l’efficacité énergétique, depuis les métiers de performance énergétique jusqu’aux services intégrés multitechniques. Idex compte 3 600 salariés qui travaillent exclusivement sur le territoire français, pour un chiffre d’affaires annuel de 700 millions d’euros.
Quelle lecture faites-vous du projet de loi sur la transition énergétique ?
Favorable, dans le sens où il reconnaît les réseaux de chaleur comme vecteurs de mobilisation des énergies renouvelables. Il affiche aussi des objectifs ambitieux avec des points d’étape bien définis, ce qui permet de savoir comment avancer. Enfin, il s’accompagne d’un dispositif reconnu pour son efficacité, le Fonds Chaleur, qui devrait être doublé d’ici 2017.
L’un comme l’autre – Fonds Chaleur et projet de loi sur la transition énergétique – sont-ils à la hauteur des enjeux ?
Je le pense, même si on ne peut s’empêcher d’avoir quelques interrogations, notamment sur l’utilisation du Fonds Chaleur. Sera-t-il garanti et fléché pour la chaleur renouvelable ou bien servira-t-il aussi à d’autres filières ? Des appétits se sont aiguisés depuis sa mise en place… En ce qui concerne la loi, on peut avoir aussi un questionnement sur les conditions de sa réalisation, notamment à cause des complexités administratives et régulatoires. Pour prendre un exemple, de nouvelles perspectives se sont ouvertes ces dernières années avec les combustibles solides de récupération (CSR). La situation est paradoxale en France. On fabrique des CSR, mais ils sont majoritairement exportés car ils “n’existent pas” juridiquement ; dans le même temps on importe des énergies fossiles.
Ces réglementations sont aussi peu lisibles pour les élus locaux.
C’est vrai. La loi prévoit clairement que la compétence énergétique sera confiée aux collectivités locales. Des décisions importantes vont incomber aux élus. Il faut donc qu’il y ait un accompagnement qui leur permette de les prendre, c’est-à-dire des dispositifs d’aide à la décision et à la planification ainsi que des dispositifs de soutien pour qu’ils puissent s’engager.
Pour les villes, aujourd’hui, l’enjeu ne porte-t-il pas essentiellement sur les bâtiments existants ?
C’est l’enjeu en effet. Il existe trois facteurs d’amélioration de l’existant : la contractualisation de la performance énergétique, qui consiste à s’engager sur les consommations et leur réduction ; les dispositions qui accompagnent la transition relative à la rénovation thermique des bâtiments et qui sont prévues par la loi et, enfin, la densification des réseaux. Ce dernier point est crucial, et l’incertitude sur l’avenir des certificats d’économies d’énergie, qui constituent une aide précieuse aux raccordements des grands bâtiments, est actuellement un vrai problème.
En quoi peut-on dire que les réseaux de chaleur sont un vecteur essentiel de la transition énergétique ?
Les réseaux de chaleur sont le vecteur naturel et incontournable des énergies renouvelables. Leur taille leur permet de diffuser et de mutualiser des énergies vertueuses en sécurisant la ressource. Un forage géothermique, par exemple, exige de lourds investissements qui ne sont rentables qu’au sein d’un système centralisé, qui suppose des moyens de transport et de distribution collectifs. Ensuite, si l’on observe les trois grands réseaux de distribution que sont l’électricité, le gaz et les réseaux de chaleur, on s’aperçoit que les deux premiers contiennent une quantité somme toute négligeable d’énergies renouvelables alors que les réseaux de chaleur sont alimentés à 40 % par de telles énergies. Si on veut aller vite dans la transition énergétique, l’urgence est bien de développer ces réseaux.
De quoi dépendra leur réussite ?
Il faut qu’il y ait un dispositif clair de soutien pour assurer la compétitivité des réseaux de chaleur face à des énergies fossiles pour lesquelles les prix n’ont pas tendance à augmenter. Il faut également un dispositif d’accompagnement des collectivités locales pour les inciter à soutenir le développement des réseaux de chaleur. La réussite de cette belle ambition est entre leurs mains.
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