Bertrand Guillemot : smartgrids et réseaux de chaleur

Lorsqu’on parle de réseaux de chaleur, on parle bien évidemment d’efficacité énergétique. L’un des concepts les plus novateurs en la matière ces dernières années est le smart grid. Bertrand Guillemot, directeur innovation adjoint chez DALKIA, œuvre pour la promotion de réseaux de chaleur intelligents. De la définition du smart grid dans le domaine des réseaux de chaleur aux possibilités de développement en France, il a accepté de répondre à nos questions. Entretien.

Entretien avec Bertrand Guillemot : Smartgrids et réseaux de chaleur

On décrit souvent les smart grids comme une source d’efficacité et d’économie dans la production d’électricité. Quelle en est la définition lorsqu’on parle de réseau de chaleur ?

Le smart grid nécessite d’avoir une perspective au-delà du bâtiment seul ; on prend en compte un quartier, voire un territoire. Ce concept s’inscrit dans une démarche d’efficacité énergétique et économique globale. Nous voyons le smart grid comme un réseau multi-énergies qui valorise les énergies disponibles faciles d’accès, et les propose à des coûts raisonnables. On associe trop souvent l’énergie à l’électricité en France : le nucléaire, le photovoltaïque… Peu de gens savent que cela ne représente en fait qu’un quart de l’énergie consommée. Une grande partie des défis de la transition énergétique est liée à l’énergie thermique. Le réseau de chaleur est un vecteur majeur dans cette efficacité énergétique territoriale et le smart grid en est le bras armé. Nous travaillons à passer d’un système basé sur l’équilibre production-consommation à un système basé sur l’économie-valorisation. De ce fait, nous avons besoin de systèmes très intelligents qui vont faire coopérer toutes ses énergies.

Que va apporter cette “philosophie” smart grid dans le domaine ?

En France, nous avons une vraie contrainte : nous ne sommes pas aussi riches que nous le voudrions et certaines énergies coûtent de plus en plus cher. Nous devons donc viser l’efficacité. Cela va permettre de valoriser les ressources disponibles, quelles qu’elles soient, avec un coût raisonnable sur un territoire. Cela concerne aussi bien la petite commune que la grande ville, avec des solutions adaptées. Notre philosophie du smart grid, c’est d’éviter de dépenser énormément pour économiser des énergies qui sont déjà produites ou disponibles avec des impacts faibles.

Le MWh, en France, est trop souvent considéré de la même manière quels que soient son origine et son impact. Il pourrait être pertinent de mieux différencier le MWh que nous récupérons de la cheminée de l’usine d’ArcelorMittal à Dunkerque de celui qui sort d’une chaufferie gaz. Les meilleurs résultats dans la balance impact/environnement/coût en € ne viennent pas toujours de la sur-isolation des bâtiments. Il peut être très intéressant de mieux utiliser les énergies disponibles, surtout lorsqu’à défaut d’usage, elles ne feront que réchauffer la planète.

Avez-vous des exemples de réseaux, en France ou à l’étranger, qui sont des modèles de réseaux de chaleur intelligents ?

Le smart grid dont nous rêvons est en construction dans de nombreux endroits, mais il n’existe pas de modèle parfait. En France, aujourd’hui il n’y a pas à proprement parler de réseau de ce type mais la technologie est déjà existante et disponible. Il y a des initiatives à l’étranger ; cependant, peu d’entre elles sont efficaces car le public et les autorités n’en ont pas toujours la compréhension nécessaire.

Nous sommes noyés par le smart grid électrique, qui est plus simple à aborder que le smart grid multi-énergies. De plus, en France, derrière un réseau de chaleur se cache généralement une délégation des services publics : le schéma est souvent contraint. Il est difficile de faire comprendre que l’on veut installer un système original, non envisagé initialement, qui apportera des économies environnementales et financières dans le futur plus qu’une économie de MWh dans l’immédiat.

Où en est la France au niveau du développement de réseaux de chaleur intelligents ? Des projets sont en cours ?

Les systèmes de base existent. DALKIA met en place des DESC (Dalkia Energy Savings Center). Nous nous dotons d’outils pour conduire ces installations mais nous rencontrons souvent une appréhension, une certaine frilosité, des barrières réglementaires… Pour avoir une vision smart grid, nous devons mieux gérer ce qui se passe dans les bâtiments ; aujourd’hui les réseaux de chaleur s’arrêtent à l’entrée des bâtiments. Améliorer l’efficacité passe par une meilleure gestion de ce qui se passe à l’intérieur de ces bâtiments.

Plusieurs systèmes sont en exploitation, le Fort d’Issy-les-Moulineaux, l’écoquartier des Docks à Ris-Orangis, d’autres en développement comme à Marne-la-Vallée, avec le projet Descartes. Toutefois, nous sommes face à des ambitions compliquées. Nous rêvons d’aller mettre du “smart” non pas à l’échelle d’un quartier mais à l’échelle d’un territoire déjà existant. Il y a un potentiel de développement énorme qui passe par des fonctionnements plus intelligents pour valoriser l’attrait du réseau de chaleur : une énergie plus verte à moindre coût avec une visibilité dans le temps sur la consommation et le prix, c’est l’esprit du grand réseau de Dijon.

S’il y a une grosse évolution du prix du gaz ou de l’électricité, les réseaux de chaleur peuvent changer leur mix énergétique en 4 ou 5 ans, pour conserver leurs tarifs. C’est ce qui rend le réseau de chaleur flexible et incomparable avec les autres solutions.

Quelle est l’influence du certificat d’économies d’énergie sur le développement des smart grids ?

Les CEE devraient se développer avec les réseaux de chaleur intelligents. Le meilleur usage de cet outil : baisser les charges et ne pas pousser les clients à la consommation. Nous souhaitons donc aller vers plus d’actions éligibles aux CEE. Aujourd’hui, il reste difficile de faire comprendre que le raccordement d’un bâtiment engendre une économie globale.

Les fiches CEE, liées aux réseaux de chaleur, sont en cours de discussion, et les débats sont âpres. Il n’y a pas de fiche “smart grid” pour les réseaux de chaleur, mais c’est un des outils de développement. Il est indéniable que l’Etat cherche l’innovation, cependant le milieu des réseaux de chaleur capte peu d’investissements par rapport à d’autres secteurs énergétiques, ce qui est probablement lié à la taille de notre marché.

Il faut préciser qu’il y a eu de bonnes nouvelles ces dernières années ; dans plusieurs textes de loi, on parle enfin de réseau de chaleur. Pour progresser et avoir plus de soutien, nous devons montrer la pertinence de notre réponse et cela tient autant à la communication qu’à la réalité technologique. Les technologies sont disponibles et, dans le cas du stockage, elles sont plus éprouvées que celles de l’électricité. Nous devons les mettre en place et être plus efficaces dans notre communication.

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