L’outil de planification du réseau de chaleur de Grenoble associe environnement et economies

Un outil de planification du réseau de chaleur combiné aux outils de conduite peuvent permettre aux opérateurs de réseaux de chaleur complexes d’améliorer leur maîtrise des engagements de manière significative et de réaliser des économies substantielles.

Introduction

Le réseau de chaleur de l’agglomération grenobloise (842MW raccordés) est maillé et est alimenté en eau surchauffée par  5 centrales de productions d’énergie thermique et électrique. Il est exploité par la Compagnie de Chauffage Intercommunale de l’Agglomération Grenobloise (CCIAG).  Chacune des centrales est elle-même équipée de 3 à 5 générateurs consommant en mono ou co-combustion plusieurs combustibles telles que ordures ménagères, charbon, bois, farines animales, gaz naturel et fioul lourd. Deux des centrales possèdent des générateurs vapeur et produisent  de l’électricité, venant apporter un niveau de complexité supérieur, notamment du aux contrats de vente et à la maitrise des températures départ des 2 sites. Les engagements des générateurs et des combustibles associés dépendent donc de nombreux paramètres techniques et économiques. L’optimisation de ces engagements représente un enjeu de 1 à 3% de la facture énergie.

Pour répondre à cet objectif, il a été implanté successivement des outils de conduite visant à fiabiliser la conduite du réseau de chaleur et un outil de planification du réseau de chaleur pour assurer l’optimisation énergétique. Ce projet, appelé « CŒUR » a été soutenu par l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie.

Les outils d’exploitation et la capacité à exploiter au plus près des consignes de production est un premier élément décisif. La connaissance de la charge totale à produire durant la journée à venir, pour satisfaire la demande des clients est un autre élément  clef pour permettre d’élaborer les consignes optimales via un outil de planification du réseau de chaleur.

Outil de conduite du réseau de chaleur

Le 800xA est un système de contrôle commande numérique distribué par la société ABB. Il échange avec les  systèmes locaux spécifiques des sites de production ainsi qu’avec les contrôleurs des sous-stations et des équipements isolés sur le réseau de distribution. Cet outil, appelé « SOPE » permet la supervision, le contrôle et la commande des équipements importants pour la conduite du réseau.

Via une interface développée à cet effet, les opérateurs de chacune des centrales observent  principalement les données procédés concernant la conduite du réseau : puissances des générateurs par combustible, débits des centrales, pressions, températures… Il s’agit de  remontée des informations disponibles dans les systèmes locaux.

Des données apparaissent également sur l’interface par  import de données externes aux systèmes de conduite locaux, notamment les consignes de températures départ à respecter par les centrales de production ou les prévisions météorologiques et de charges issus du système de planification. La satisfaction des clients est contrôlée en temps réel grâce à la remontée dans le système des paramètres principaux des sous-stations : écart mesure-consigne, ouverture des vannes de régulations du réseau secondaire, température primaire, débit… Pour les sites isolés, les échanges se font par ADSL.

Toutes les observations sont sauvegardées dans la base de données SOPE et constituent une base d’historiques utiles à la modélisation du système énergétique.

Cet outil permet également le contrôle et la  commande de certains équipements sur le réseau. Il est particulièrement intéressant de piloter les pompes en centrale en fonction de l’état de satisfaction d’une sous-station. En effet, l’ouverture de vanne de régulation d’une sous-station peut être régulée par action sur la différence de pression disponible aux bornes de la centrale de référence de la sous-station. La pompe départ de la centrale accélère ou ralentit si  l’ouverture de la vanne de régulation de la sous-station la plus contrainte du réseau dépasse une cible d’ouverture. On peut également  ouvrir ou fermer une vanne d’isolement,  arrêter ou démarrer une pompe de relevage implanté sur le réseau de distribution lorsque cela est nécessaire pour la bonne distribution dans le réseau. Ainsi, les ordres sur des équipements communs peuvent être donnés depuis une centrale ou une autre par les opérateurs, en fonction de l’urgence ou de la période de l’année, lorsque certaines centrales sont à l’arrêt.

Outil de planification du réseau de chaleur

EO3 est un outil de planification énergétique distribué par la société Energy Opticon (solution modulaire). Cet outil de planification du réseau de chaleur est connecté au système de conduite et échange avec lui les données en lecture et écriture.

Le module de prévision de charge délivre un profil horaire à un horizon moyen terme de 14 jours. Les données d’entrées  de ce module sont les prévisions météorologiques issues d’un fournisseur externe (température extérieure, vitesse du vent) ainsi que les historiques de consommations du réseau de chaleur. La figure ci-dessous montre un profil de la prévision de la demande du réseau (MW en ordonnée) sur la partie droite des tirets rouge ((axe du temps) depuis le 2 mars 12h au 7 mars. A gauche, la courbe est exactement la puissance effectivement mise au réseau les heures précédentes. On retrouve l’effet de pointe bien marqué et caractéristique de l’appel de charge du matin.

Un module de production permet la modélisation du système énergétique au réseau de chaleur et à la demande à fournir,  liés aux différents équipements et aux contrats d’achats et d’approvisionnement.

L’exploitabilité, la rangeabilité, le temps de démarrage, de fonctionnement, d’arrêts, des contraintes liées à la co-combustion sont autant de contraintes techniques qui doivent être décrites pour que les consignes produites soient réalistes et réalisables. Un générateur peut par exemple consommer du charbon ou du bois seul jusqu’à mi-charge mais devoir respecter un ratio bois charbon pour aller jusqu’à sa pleine charge. Toutes ces contraintes sont traduites via le modèle des équipements.

Le  type d’énergie ou de combustible, leur prix, des durées et types de contrats associées sont également des éléments à modéliser pour que la production de consignes soient également représentatives de la réalité économique, à court mais aussi sur la saison de chauffe. Un contrat d’approvisionnement peut être simple avec une tarification journalière ou plus complexe avec un tarif variable par tranches de consommation,  sur des périodes allant jusqu’à l’année civile ou alignée à la saison de chauffe. Ces contraintes doivent également être traduites via le modèle pour rendre les résultats de l’optimisation réalistes.

Un module permettant le calcul de consignes de températures départ par utilisation du volume du réseau de chaleur comme stockage d’énergie sensible est également utilisé dans le cadre de l’exploitation du logiciel. Les consignes de température départ doivent donc être élaborées en tenant compte des températures minimales nécessaires aux échangeurs en fonction de l’appel de puissance client, de la zone d’influence (débits) des centrales, du temps de parcours, des débits ciblés.

Les consignes de températures départ peuvent être de deux types. Le premier type  correspond à la fourniture strictement nécessaire aux besoins des clients et aux pertes associées sur le réseau de chaleur. Le second type correspond à la température départ optimisée pour limiter les coûts, l’utilisation des énergies fossiles, réduire le débit appelé à la pointe lorsqu’il y a une opportunité,  on utilise alors le volume du réseau comme stockage d’énergie sensible. Dans le premier cas, on distribue de l’eau à la température minimale nécessaire aux sous-stations critiques, dans un temps corrigée des temps de parcours estimés. Dans l’autre, on profite du démarrage d’un générateur démarré, au coût marginal plus bas pour distribuer un surplus de température (et un surplus de pertes thermiques) sur le réseau comme illustré ci-dessous.

La capacité du réseau et le foisonnement des demandes clients sont tels que la satisfaction est réalisable de plusieurs manières en modifiant sensiblement la température départ :

  • Sur le premier graphe, l’aire bleue correspond à la demande client totale, consolidation des appels spécifiques de chaque sous-station
  • Les courbes orange et bleues représentent la puissance mise au réseau (J mise au réseau MW), dont le profil varie mais qui permettent toutes deux d’obtenir l’absence d’insatisfaction des clients représentée par l’ouverture des vannes de régulation des sous-stations
  • L’exemple 1 (second graphe ) représente les engagements relatifs à l’option courbe orange (J mise au réseau 1) si on respecte le profil de température départ associée (courbe verte)
  • L’exemple 2 représente les engagements relatifs à l’option courbe bleue (J mise au réseau 2) si on respecte le profil de températures départ associée: cette option permet de minimiser le coût au détriment du ratio d’énergie renouvelable
  • Un exemple 3 pourrait maximiser l’énergie renouvelable

Forward temperature control demo

Autant de contraintes et paramètres qui, associées à la complexité du système énergétique de la CCIAG, rendent les arbitrages difficiles à réaliser dans un temps court avec des outils conventionnels. L’outil de planification du réseau de chaleur CŒUR optimiseur puissant qui permet la résolution en un temps court du problème d’optimisation (coût total) : de quelques secondes à 1h en fonction du terme de l’optimisation. Il permet le calcul horaire des programmes de production sur les prochaines 24 h destinés aux opérateurs pour la gestion de la puissance appelée à court terme. Des programmes calculés sur plusieurs jours sont également disponibles et permettent la gestion des stocks de combustibles. De manière moins automatique, on peut calculer une saison de chauffe complète pour évaluer la répartition des énergies optimales par générateurs, combustibles et coûts associés. Le cœur de l’outil est un

La figure ci-dessous indique un exemple de programme moyen terme (7 jours) indiquant les heures de démarrages et d’arrêts, les niveaux de puissances des générateurs par combustibles nécessaires à la bonne fourniture du réseau. Chaque combustible engagé est représenté par une couleur et associée à un générateur.

Production Program

L’exploitation de l’outil de planification du réseau de chaleur a conduit à des résultats positifs pour le CCIAG

Plusieurs  résultats positifs ont été mis en évidence à différents niveaux depuis l’implémentation de ces  outils.

La sécurisation des opérations via la maîtrise des pressions réseau par exemple est permise grâce à l’outil de conduite, les marges de sécurité ont pu être réduite et les pressions de fonctionnement abaissées.

Les outils de conduite et de planification permettent l’anticipation et améliore la réactivité lors des appels de charge. Ainsi l’augmentation du niveau de satisfaction globale des clients est significative puisqu’on a observé une division des alarmes d’insatisfaction par un facteur deux (durée).

Ces deux outils ont également permis d’abaisser les températures départs nécessaires à la bonne fourniture du réseau. Les capacités hydrauliques sont exploitées au-delà des limites anciennes. Les températures départ minimales ont été abaissées et les consignes élaborées plus finement. Une baisse des pertes thermiques annuelles a pu être évaluée à 7% (sur 110GWh).

Les temps consacrés à la prise de décisions pour le planning des interventions de maintenance court terme, la gestion des approvisionnements ont également diminués grâce à l’utilisation de l’outil de planification.

Perspectives

Il reste, bien entendu, à s’approprier toujours mieux ces outils pour assoir les résultats économiques, notamment estimer les gains en matière d’engagements. A terme, les régulations multi-sites, le contrôle avancé et la gestion intelligente du réseau étendue aux sous-stations sont envisageables.

 

Elise LegoffAuteur

Elise LE GOFF

Project Manager and Energy Management / CCIAG in Grenoble (France)

www.cciag.fr

elise.legoff@cciag.fr

 

(article original publié dans Euroheat and Power en avril 2015 – reproduit avec l’autorisation de l’auteur)