Nicolas Garnier : « Les réseaux de chaleur vivent une deuxième jeunesse »

Nicolas Garnier : "Les réseaux de chaleur vivent une deuxième jeunesse"

Nicolas Garnier est le délégué général d’AMORCE, l’association nationale des collectivités, des associations et des entreprises pour la gestion des déchets, de l’énergie et des réseaux de chaleur, qui organise chaque année la Rencontre des réseaux de chaleur. Tirant un bilan très positif de la dernière édition, qui s’est déroulée début décembre, il nous alerte cependant sur quelques mauvais signaux envoyés quant à l’évolution du Fonds chaleur.

Qui est AMORCE ?

Amorce a été créée en 1987, à une période où l’on construisait beaucoup d’usines d’incinération de déchets en France. Certains élus ont alors réfléchi à l’utilisation de la chaleur issue de ces incinérateurs pour alimenter les réseaux de chaleur. Une vingtaine d’entre eux se sont unis pour créer l’Association des Maîtres d’Ouvrage en Réseaux de Chaleur et Environnement : AMORCE. L’association s’est ensuite développée autour de deux problématiques : les modes de gestion des déchets et les réseaux de chaleur. Aujourd’hui, elle compte 820 adhérents, soit la moitié des agglomérations, des départements et des régions.

Quel bilan faites-vous de la « Rencontre » que vous avez organisée début décembre ?

Un bilan très positif. On a le sentiment que les réseaux de chaleur vivent une deuxième jeunesse. Cela s’est vu au nombre de participants mais aussi avec le nombre de labels éco-réseaux distribués. Les réseaux ont connu une croissance d’environ 35 % ces 5 dernières années, avec une part d’énergie renouvelable qui a quasiment doublé. On a pu sentir cette dynamique forte lors de la Rencontre des réseaux de chaleur.

Ceci étant, nous avons tout de même quelques préoccupations car les déclarations faites au moment de la présentation du projet de loi sur la transition énergétique sont sur le point d’être remises en question. Le gouvernement s’était engagé à multiplier par 5 la chaleur renouvelable dans les réseaux de chaleur et à doubler le Fonds chaleur d’ici 2017. Or, il semble que l’ADEME (l’organisme en charge de ce Fonds) n’ait pas plus de moyens en 2015 qu’en 2014. D’autres types de dispositifs sont annoncés mais restent flous.

Sans Fonds Chaleur, pas de perspective ?

C’est un peu dramatique, mais oui. Sur un plan compétitif, la chaleur renouvelable est bien plus proche de la rentabilité que d’autres énergies. Il y a tout à gagner à miser de l’argent sur une solution plus compétitive. Il ne s’agit pas de la sur-aider mais de l’aider suffisamment pour que les projets voient le jour. Avec un Fonds Chaleur qui reste au même niveau qu’avant, il y a un vrai risque pour que le nombre de projets stagne ou diminue, alors que nous avons de nouveaux réseaux à aller chercher, notamment dans les quartiers urbains très denses.

Les réseaux de chaleur sont-ils la condition sine qua non pour réussir la transition énergétique ?

Absolument. Le projet de loi sur la transition énergétique vise la baisse des consommations et l’augmentation de la part d’énergies renouvelables. Si on observe le profil de consommation énergétique de la France, on s’aperçoit que près de la moitié concerne la chaleur. Pour verdir cette consommation, on doit donc verdir la chaleur. Il y a d’ailleurs une logique de résultats puisque le texte de loi prévoit de porter la part de renouvelable dans l’énergie à 32 %. L’électricité possède un taux d’EnR d’à peine 15 %;  pour le gaz c’est inférieur à 1 % ; tandis que les réseaux de chaleur sont déjà à 40 % renouvelables. Malheureusement, ils ne sont pas assez nombreux : ils représentent entre 6 et 7 % du marché du chauffage en France. On voit bien l’intérêt qu’il y aurait à déployer les réseaux de chaleur pour atteindre les objectifs de la loi.

Quelles sont les priorités pour développer ces réseaux ?

Je dirais qu’elles sont de trois ordres. Tout d’abord, les rendre plus vertueux en mobilisant des gisements encore mal exploités comme le bois, la géothermie ou les énergies fatales, et demain le solaire et le biogaz. Ensuite, mettre en place une vraie coordination des trois réseaux que sont l’électricité, le gaz et la chaleur afin d’assurer un développement plus harmonieux et qu’ils puissent donner leur pleine puissance. Cela pose la question du renforcement du rôle de l’autorité concédante en matière de gaz et d’électricité et la reprise en mai de ces réseaux par les collectivités locales. Enfin, il faut assumer le fait qu’il s’agit d’un service public industriel et commercial et donc créer un vrai relationnel avec le consommateur, avoir une démarche de compétitivité et d’amélioration du service.

Quel rôle peut jouer la décentralisation énergétique ?

Il est clair que plus on donnera de pouvoir aux élus locaux en la matière plus on développera les réseaux de chaleur. Si leur part n’est que de 6 % aujourd’hui, c’est probablement parce que  jusqu’alors les collectivités locales ne pesaient pas sur la politique énergétique. Il faut bien voir qu’elles tiennent là un formidable outil social qui a la capacité de fournir de l’énergie à un coût maîtrisé. C’est aussi un outil économique car un réseau de chaleur qui fonctionne bien n’interdit pas d’être bénéficiaire et de garantir des revenus à la collectivité.

Sentez-vous ces élus locaux concernés et sensibilisés ?

Ils ont compris que l’enjeu énergétique était majeur, mais dans cette période de contrainte économique forte, ils ont tendance à se focaliser sur les services publics de première nécessité de leur collectivité. Il faut continuer à essayer de les convaincre que l’énergie n’est pas un service public subsidiaire. Pour cela, je leur poserais trois questions :
– Combien vous coûtent en consommation d’énergie le patrimoine et les services de vos communes ?
– Combien vous coûtent les factures d’énergie de vos administrés en précarité énergétique ?
– Combien avez-vous d’emplois liés à l’énergie ?

Si les élus locaux veulent créer de l’emploi, s’ils souhaitent réduire les inégalités sociales et réduire le budget de fonctionnement de la commune, la question énergétique est essentielle. Ce n’est plus un simple sujet d’écologie, mais une question sociale et économique.

Crédits photo : AMORCE

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