Marc Barrier : “Au 1er janvier 2016, le réseau de chaleur de Paris sera majoritairement d’origine renouvelable”

https://www.dhcnews.com/trigeneration-reseau-chaleur/Directeur général de la Compagnie Parisienne de Chauffage Urbain (CPCU), premier réseau de chaleur français, Marc Barrier nous en explique les spécificités et les évolutions.

Pouvez-vous nous présenter la CPCU ?

La CPCU a été fondée en 1927. Il s’agit d’une entreprise publique locale détenue aux deux-tiers par Engie et à un tiers par la Ville de Paris. Par délégation de service public (à échéance du 31 janvier 2024), nous avons pour mission de répondre aux besoins en chaleur de Paris. Nous chauffons à peu près un tiers de sa surface construite pour un quart des besoins en chauffage et en eau chaude sanitaire. Cela représente un réseau de 480 km ainsi qu’un réseau de retour d’eau de 320 km, et 20 boucles d’eau chaude puisque, dans certains quartiers, nous avons privilégié la boucle par rapport à la vapeur. La CPCU est aujourd’hui le 1er réseau de chaleur français, le 7e européen et le 11e mondial, en termes de TWh vendus.

Vous n’êtes présents que sur Paris ?

La Ville nous a mandatés pour son chauffage, mais des extensions se sont faites dans certaines villes de première couronne. Aujourd’hui, nous intervenons aussi dans 16 de ces villes (Levallois-Perret, Saint-Denis, Boulogne-Billancourt, Ivry-sur-Seine, Issy-les-Moulineaux…), mais en général de façon indirecte, autrement dit nous vendons à un autre délégataire. L’ensemble de ces ventes en banlieue représente 10 % de nos ventes globales.

La CPCU possède-t-elle des particularités que l’on ne trouve pas ailleurs ?

La plus importante est sans doute la taille de notre réseau. Un réseau de chaleur moyen en région parisienne est de 100 GWh ; un réseau moyen en France est de 50 GWh : le nôtre fait 5 500 GWh, cent fois plus qu’un réseau français classique ! Autre caractéristique : le parti pris, dès les années 1940 de coupler le réseau de chaleur parisien aux usines d’incinération. Si bien qu’aujourd’hui nous valorisons 100 % de la production de chaleur des trois usines du Syctom (syndicat de traitement des déchets de la région parisienne), ce qui représente 40 % de notre fourniture.

Cela implique une production à la fois externe et interne.

Oui, 40 % de notre production provient donc du Syctom et 60 % de nos propres centrales (au nombre de 8). Nous avons donc mis en place un dispatching semi-automatique qui fonctionne comme une tour de contrôle aérien. Cela nous oblige à une coordination très fine. Il faut savoir que notre réseau de chaleur a une inertie de 30 minutes. Si une usine d’incinération s’arrête, nous avons vingt minutes pour prendre le relais, ce qui suppose de mobiliser en permanence des secours de « chaud ».

Quel est votre mix énergétique ?

Au 1er janvier 2016, nous atteindrons 50 % de renouvelable. Grâce à la valorisation des usines d’incinération, mais aussi à la géothermie, le biocombustible (qui comptent pour environ 2 %) et à la biomasse qui va compter pour près de 10 % dans notre mix. La deuxième partie est composée de gaz à 30 % et de charbon pour 16 %.

L’utilisation de la biomasse est quelque chose de nouveau pour vous.

Oui, et nous venons pour cela d’effectuer une importante installation logistique. Nous avons transformé des chaudières à charbon à Saint-Ouen en bois-charbon, avec l’utilisation de granulés de bois. Des granulés particuliers puisqu’il s’agit de black pellets que nous serons les premiers en Europe à utiliser. Ce sont des granulés traités à la vapeur qui offrent l’avantage d’être hydrophobes (stockables en extérieur) d’une part et de produire peu de poussière, ce qui réduit les risques d’explosivité, d’autre part.

Vous n’avez pas de problème d’approvisionnement en bois ?

Pas sur les granulés à l’échelle internationale. Le marché est très tonique. Nous avons fait un appel d’offre sur la base d’une consommation de 140 000 tonnes de bois par an. Nous avons reçu cinq réponses tout à fait recevables. En revanche, nous n’avons pas réussi à mobiliser la filière française qui n’a pu nous proposer que 40 000 tonnes. Cette filière vend essentiellement aux particuliers, pour les poêles à bois.

Quelles sont les difficultés à intervenir au sein d’une densité urbaine telle que celle de Paris ?

Cela implique des contraintes fortes et des investissements lourds. Par exemple, pour limiter nos émissions, nous venons de transformer cinq de nos centrales au fioul en centrales à gaz, ce qui représente un investissement de 100 millions d’euros. Pour notre chaudière à bois de Saint-Ouen, nous n’avons pas été autorisés à effectuer le transport par camions. On le fait donc par voie ferrée, avec des trains qui arrivent au pied de la centrale et des chaudières alimentées par bandes transporteuses. Dernier exemple : les travaux. Tirer des réseaux dans une ville telle que Paris est très contraignant en termes d’autorisation de voirie. D’ailleurs, nous sommes en train d’examiner la possibilité de réaliser des tubages du réseau de retour d’eau pour éviter d’éventrer les rues.

Un projet comme celui du Grand Paris Express qui va creuser énormément en région parisienne pose-t-il des problèmes pour vos réseaux ?

Pas le Grand Paris Express, au sens où il se trouve en périphérie, nous n’avons que des impacts marginaux comme au Kremlin-Bicêtre. En revanche, nous avons effectivement un grand enjeu avec la montée en puissance des transports en commun tels que les tramways et les prolongations de métro. On ne peut pas laisser un réseau de chaleur sous l’emprise d’un tramway, cela nous oblige à dévoyer. On déplace aujourd’hui de gros feeders vapeur sur les boulevards des maréchaux, au nord-ouest de Paris, pour le tramway. Cela nous coûte 25 millions d’euros. Et l’on détourne aussi des feeders du côté de Clichy et Saint-Ouen pour l’extension de la ligne 14 du métro.

Les réseaux souterrains sont-il bien cartographiés pour réaliser ces travaux ?

Il existe une base centrale de la Ville de Paris que nous consultons dès que nous souhaitons faire des développements. Mais il y a encore des surprises. Les plus grandes proviennent de vieux réseaux abandonnés, réseaux d’eau, d’assainissement ou de télécoms qui ne sont plus répertoriés.

Qu’implique pour vous l’existence d’un réseau de froid conjoint à Paris ?

En réalité, si la CPCU a créé le réseau de froid de Paris qui s’appelle Climespace, les deux sociétés sont aujourd’hui complètement disjointes puisque Climespace est une filiale à 100 % du groupe Engie. Il y a très peu d’interface entre nous, mis à part quelques projets communs comme celui de trigénération géothermique à Aubervilliers. Et puis, les réseaux de froid passent par les réseaux d’assainissement, ce qui ne peut être notre cas pour des raisons de sécurité.

Quel regard portez-vous sur l’avenir des réseaux de chaleur ?

Ils se sont bien développés ces dernières années, sous les effets conjoints de la hausse des prix de l’énergie et de la problématique des gaz à effet de serre (GES). Les technologies les ont aussi favorisés, ce qui nous amène aujourd’hui à travailler sur la récupération et la valorisation des énergies fatales, locales et renouvelables. Nous sommes, par exemple, très sollicités pour la récupération d’énergie des data centers ou des opérations de captage des calories des réseaux d’assainissement. Maintenant se pose la question de la chute du prix du gaz, alimentée par la production de gaz de schiste aux États-Unis, qui dessert les réseaux de chaleur.

Quels seront donc les dispositifs qui permettront de les soutenir face à un gaz plus attractif ?

On risque un effet de contre-choc du même type que celui que nous avons connu en 1986 et qui, après des années de hausse du pétrole, avait gelé le développement des réseaux de chaleur pour longtemps.

La loi sur la transition énergétique va-t-elle dans le bon sens ?

Oui, avec par exemple ces objectifs affichés sur la fiscalité carbone de 56 euros la tonne en 2020 et 100 euros en 2030. On a tout de même l’impression qu’un déclic s’est fait, qu’on ne raisonnera plus jamais comme avant en termes d’énergie.

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